Soirée annuelle 2017

24 novembre 2017, école d’ingénieurs


Discours de Nicolas Michel, ancien secrétaire général adjoint de l’Organisation des Nations Unies

Vous me faites un bel honneur, Monsieur le Président, en m’invitant, au nom de la Société, à prendre part à la soirée annuelle de La Concordia. Je vous en remercie.

Vous le savez, Mesdames et Messieurs les Concordiens. Vous me faites vivre chaque année, ou presque, un des plus beaux moments de ma vie de Fribourgeois. Depuis plus de cinquante ans, en effet, je viens vous voir et vous écouter, au petit matin, dans l’une de vos plus belles missions. Je veux parler, bien sûr, de votre magnifique prestation en Basse-Ville, au petit matin de la Fête-Dieu.

Vous êtes là, fidèles au poste, dans une ambiance faite à la fois de discipline et de bonhommie, pour offrir la diane aux habitants de vos quartiers d’origine. Il n’y a que quelques personnes dans les rues et encore très peu de trafic. Je ne vous ai presque jamais manqués, même lorsque j’étais en fonction à l’étranger. Il faut avoir entendu votre musique harmonieuse renvoyée en écho par les falaises de la Sarine. Il faut vous avoir vus arriver sur la place du Petit-Saint-Jean, puis vous arrêter à nouveau sur le Pont de Saint-Jean pour jouer, et jouer encore devant la Providence, dans une rue qui sert de caisse de résonnance, avec le personnel tout joyeux de vous accueillir et de vous féliciter. Un grand plaisir pour les yeux et les oreilles. Mais bien plus que cela.

Ce que vous faites, toutes et tous, ensemble, quelles que soient par ailleurs vos convictions personnelles, évoque autre chose, s’adresse à ce qu’il y a en nous de désir de beau, de grand, de mystérieux, et qui est à la fois lointain et à portée de main. Par la manière dont vous le vivez, dont vous le rendez présent ici et maintenant, vous touchez non seulement les yeux et les oreilles mais aussi le coeur et l’esprit. Pour tous ces moments de bonheur partagé, un grand merci.

En pensant à ce que j’allais vous dire ce soir, j’ai réalisé que beaucoup de parallèles peuvent être trouvés entre ce que vous faites et mes engagements internationaux. Je vais me limiter à en mentionner quelques-uns. Parmi les prestations que vous préparez avec beaucoup de soin, il y a des concerts. Pour ma part, il m’a aussi été demandé de participer à un grand concert, d’un autre type que les vôtres, celui que l’on appelle parfois le concert des nations. C’est un peu tiré par les cheveux, me direz-vous. Et vous n’auriez pas complètement tort, tant votre musique est harmonieuse et la mienne cacophonique.

Il vaut pourtant la peine de poursuivre. La cellule de base essentielle chez vous est la personne de chaque musicienne et chaque musicien. Sans les superbes talents que chacune et chacun a reçus et développés, sans vos personnalités propres et aussi votre profond désir de jouer de la musique et de le faire en commun en faisant les sacrifices que cela comporte, il n’y aurait rien de cette belle harmonie que vous créez. Vous gardez, bien sûr vos personnalités propres. Ce qui fait la richesse de l’ensemble, ce n’est pas que vous vous effaciez, mais au contraire, que vous jouiez pleinement le rôle qui est le vôtre, avec les spécificités de l’instrument dont vous avez appris à vous servir. De la même manière, la cellule de base de la communauté internationale est l’Etat. Il faut que chaque Etat conserve son existence propre, son identité propre et aussi qu’il apporte, sans fausse gêne, ce qui fait la richesse de son identité. Pour ce qui est de la Suisse, mon expérience m’a démontré que l’on attend d’elle, et que l’on apprécie qu’elle joue sa partition en apportant les richesses de sa culture.

Mais, vous le savez aussi, vous n’êtes pas seul(e)s. Vous vous trouvez, assis ou debout, en situation de proximité avec celles et ceux qui jouent du même instrument. Et vous éprouvez naturellement le besoin de vous rassembler par registres, par exemple pour préparer de nouveaux morceaux ou pour vous soutenir mutuellement dans l’apprentissage d’une pièce nouvelle et la recherche de la plus grande qualité, pour faire en sorte que le concert soit aussi beau que possible. Bref, vous avez, par registres, des intérêts communs. Vous voulez les promouvoir ensemble, à la fois dans l’intérêt de votre registre et de ses membres, et dans celui du plus grand ensemble. De la même manière, les Etats qui ont une proximité naturelle en vertu de la géographie et de la culture, éprouvent tout aussi naturellement la nécessité de se grouper, en sous-ensembles, par régions géographiques, selon des modalités qui évoluent au gré de l’histoire.

Mais ce n’est pas tout. La belle harmonie à laquelle vous tendez exige que tous les registres soient réunis dans un ensemble et, en plus, que vous mettiez votre confiance dans un chef, un chef capable, talentueux, qui sache conduire à maturité, à l’excellence, tout le potentiel qui repose en chacune et chacun d’entre vous. Et il faut encore que la conduite bénéficie du concours de personnes qui prennent aussi leur part de responsabilités, par exemple les membres d’un comité ou d’une commission musicale. Pour les Etats de la communauté internationale, il en va de même. Ils forment un ensemble qui a besoin de mécanismes de conduite et de règles.

Il m’a été donné de prendre une part modeste à ce grand concert, encore beaucoup trop disharmonieux, dans une fonction de conseiller juridique. Le droit a pour rôle, dans une société humaine organisée, de servir de toile de fond à l’ensemble, un peu comme les portées d’une partition sur lesquelles on écrit les notes. Le droit international est précisément une des composantes majeures de l’apport très apprécié de la Suisse à la communauté internationale. On attend de la Suisse qu’elle fasse cet apport qui est un des signes de son identité.

Mais c’est précisément là qu’il faut reconnaître les faiblesses du système. Un système qui, à vrai dire, en est à ses débuts. Qu’est-ce que septante années dans l’histoire de l’humanité ? Ce n’est rien. Pourtant, oui, il faut reconnaître que, trop souvent, on pense pouvoir écrire des notes sur des feuilles dépourvues de portées. Trop souvent, certains registres, désireux de faire prévaloir leurs intérêts, jouent trop fort et déséquilibrent l’ensemble. Tel ou tel percussionniste confond les effets d’annonce et la gestion compétente d’un rythme sage. Certains pipeaux se prennent pour des flûtes enchantées. Les fausses notes, parfois graves, ne manquent pas. Et j’en passe.

Mais quelles conclusions en tirer ? Que chacun se mette à jouer sa musique de son côté ? Que les registres ne se rencontrent plus ? Que le chef et ses aides soient congédiés ? La musique en serait-elle plus belle ? L’harmonie pourrait-elle surgir de ce chaos ? Bien sûr que non.

Alors oui, que chaque musicien et chaque Etat se sente légitimement fier et reconnaissant des talents reçus, des progrès accomplis. Que chacun se réjouisse du bienfait qu’il tire pour lui-même de son appartenance à l’orchestre. Mais qu’il reconnaisse aussi que, seul, il ne peut rien. Il vit de la relation à l’autre. Il s’épanouit dans le registre qui est son lieu de proximité. Il est prêt à donner le meilleur de lui-même, avec patience et persévérance, pour que l’ensemble puisse exister en tant que tel et devenir harmonieux. Il choisit des partitions sur lesquelles les notes prennent un sens parce qu’elles sont écrites sur des portées. Et il partage solidairement avec les autres les bienfaits qu’il en retire. L’harmonie qui en résulte porte, dans la communauté internationale, un nom propre. C’est celui de paix. Une paix qui résulte d’un ordre juste.

A votre manière, à ma manière, nous nous sentons appelés à être des instruments d’harmonie. De cette manière nous sommes aussi des instruments de paix.

C’est ce que je nous souhaite à toutes et à tous en cette belle fête.


Laudatio de Giancarlo Gerosa pour les 25 ans de direction de Jean-Claude Kolly à la tête de La Concordia

Monsieur le Président,
Mesdames, Messieurs,
Chers tous,

Monsieur le directeur, cher Jean-Claude Kolly,

C’est avec un immense plaisir que j’ai accepté l’honneur qui m’a été fait en me confiant ce rôle de laudator. J’ai toutefois immédiatement pris la mesure de la difficulté de la tâche : saluer en quelques mots un parcours humain et artistique hors du commun. Il fallait que je sorte de ma zone de confort !

Je ne vais pas ici m’attarder sur des souvenirs ou des émotions personnels, mais je ne peux cacher combien la rencontre avec Jean-Claude Kolly fut déterminante dans le choix de prolonger mon activité de Concordien. Jean-Claude Kolly réussit depuis 1993 ce qui ressemble aujourd’hui à une gageure : partager avec 80 musiciens un projet à la recherche d’un idéal de beauté des couleurs et de vérité des émotions.

S’il fallait résumer le parcours que nous célébrons ce soir, le titre serait sans équivoque le suivant : La longévité d’une cause qu’il vaut la peine de défendre. Mais parlons tout d’abord de l’homme.

Au siècle passé, le vingtième, être instituteur au Pays de Fribourg signifiait former une jeunesse aussi par la musique, et tout particulièrement par le chant. Jean-Claude Kolly baigne tout naturellement dans ce contexte, j’ai envie de dire, dans cette tradition (une tradition qui remonte à 1908, date à laquelle Joseph Bovet débute son activité d’enseignant à l’école normale d’Hauterive). Jean-Claude Kolly n’échappera pas à cette destinée, qui le voit actif d’abord comme instituteur, ensuite en qualité d’enseignant de musique dans les écoles, et enfin professeur à la Haute école de musique et au Conservatoire de Fribourg. Une trajectoire professionnelle qui aura des répercussions spectaculaires dans sa carrière de chef d’orchestre, avec les succès qu’on lui connait. L’homme, je disais.

De nature plutôt réservée, c’est une personnalité empreinte de sagesse, qui initie ses musiciens à la mesure et à l’humilité (jamais une phrase de trop ni de jugement hâtif dans ses extériorisations; que des conseils, des encouragements et du travail). Aux grandes déclarations et discours, il préfère le job ! Ses traits de caractère, les qualités de l’homme Jean-Claude Kolly, s’expriment totalement dans son action de chef d’orchestre. Les Concordiennes et Concordiens, admirables d’abnégation, le lui rendent à merveille, prêts à s’engager sans compter.

En 1993, Jean-Claude Kolly reprend les rênes d’une Concordia en pleine mutation (n’oublions pas les origines et les traditions concordiennes : celles d’une fanfare mixte où mêmes les clarinettes se devaient d’être en métal). Une Concordia qui traverse à cette époque une crise d’identité musicale et artistique; elle doit en effet faire face à l’évolution esthétique en cours, où la fanfare mixte à mi-chemin entre le brass band et l’orchestre d’harmonie, perd de son attractivité. Avec Jean-Claude Kolly, le choix sera évident : La Concordia va s’orienter résolument et définitivement vers la littérature symphonique pour vents.

La colonne vertébrale historique de La Concordia, constituée par des cuivres étincelants, est alors progressivement consolidée par un registre des bois élargi dans sa tessiture et étoffé dans ses timbres (font ainsi leur apparition les anches doubles, hautbois, basson et contrebasson, mais aussi des instruments – exceptionnels – tels que la clarinette basse et contrebasse). Cette évolution permet aussi de réinventer le registre des percussions et de le redécouvrir, par la variété de ses instruments et de ses couleurs. Enfin, la présence régulière du piano et de la harpe témoignent de la bonté de l’orientation prise et aussi du chemin accompli : la faculté de marier les vents avec les cordes. Symphonique !

Dès ses débuts à la tête de La Concordia, Jean-Claude Kolly mènera une action toujours très réfléchie, où rien n’est laissé au hasard. La méthode se devait d’être clinique et elle le sera ! Pour développer une couleur orchestrale, tel un artisan qui réunit en un seul geste l’art de l’orfèvrerie et de l’ébénisterie, Jean-Claude Kolly usine, façonne. Il cuit et recuit au chalumeau pour assouplir le métal; le bois, sculpté et ciselé, s’anoblit avec le temps. L’artisan n’aura pas hésité à venir au contact. Abrasif !

La Concordia mesure aujourd’hui les bienfaits de ce corps-à-corps. Les musiciens ont accepté que l’ensemble soit bien plus que l’addition de 80 individualités. Une véritable révolution pour un ensemble non professionnel !

Et puis il y a les émotions ! Vous n’êtes pas sans savoir que Jean-Claude Kolly est un grand émotif. Un chef au coeur tendre. Cette émotion, à fleur de peau, parfaitement maîtrisée sur scène, l’est parfois un peu moins lors des apartés avec ses musiciens. Une sincérité qui aura joué un rôle déterminant dans la relation entre chef et musiciens. Une sincérité qui est à la base du succès d’une telle entreprise : Jean-Claude Kolly vit les émotions qu’il transmet !

« Quand tu es arrivé au sommet de la montagne, continue de grimper ».

Oui, Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs, cher tous, cet adage s’applique à la perfection à cette entreprise humaine, motivée par la promotion d’une cause qui n’est rien d’autre que la volonté de partager une passion hors du commun. Au travers de ses concerts, Jean-Claude Kolly ne recherche ni la gloire d’un jour, ni l’autocélébration des gestes de son ensemble.

Non, la cause défendue durant toutes ces années est bien autre. Par son action, Jean-Claude Kolly souhaite sensibiliser hommes et femmes de culture, mélomanes et passionnés de musique, à l’histoire très riche qui singularise l’univers des ensembles à vent et à son évolution incessante depuis les années 1950, date de création par Frederick Fennell du célèbre Eastman Wind Ensemble. La vie musicale, la vie tout court, a besoin de tels ambassadeurs, capables d’incarner des projets avec savoir, coeur et passion.

Monsieur le directeur, cher Jean-Claude Kolly, je te souhaite – et nous souhaite – que cette belle aventure puisse se prolonger encore longtemps, permettant ainsi à La Concordia d’atteindre des objectifs élevés, tout en partageant l’amitié au service d’un idéal. Au nom des musiciennes et musiciens de La Concordia, je te félicite, te remercie et t’embrasse trois fois.

Vive la Musique ! Vive La Concordia de Fribourg ! Vive Jean-Claude Kolly !


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